Esteban & Nausicaä [Cinéma d’animation #4]

Les_Mysterieuses_Cites_d_or_1982

Pour ce 4e article, j’avais envie de m’attarder sur l’un des rares dessins animés japonais « culte » des années 80 et décemment regardable avec un œil adulte : Les Mystérieuses Cités d’Or. La production d’une deuxième saison par un studio français en 2012 (saison médiocre à tout point de vue) n’a eu que le mérite de souligner la qualité et la pérennité de la série originale.

Grâce au travail archéologique de nombreux fans, il est désormais acquis que la production franco-japonaise de 1982 est à l’origine une initiative entièrement japonaise, et que les modifications apportées par les français, y compris lors du doublage, sont honteusement catastrophiques et vont souvent à contre-courant de l’intrigue originale. Je retiendrais notamment les 2 points qui m’ont toujours gêné :
1/ un personnage féminin, Zia, réduit à un faire-valoir, là où les scénaristes japonais lui avaient donné davantage de caractère
2/ des olmèques transformés en extra-terrestres aux objectifs invraisemblables (tels que faire dévier l’axe de rotation de la terre !) au lieu de simples descendants d’une civilisation antique.

Le maquillage français gommé, il convient aussi de se pencher sur l’origine officielle de l’animé, à savoir le roman de Scott O’Dell La Route de l’or, excellent roman « jeunesse » au ton adulte sur la soif de l’or des conquistadors. Cette soif de l’or est globalement absente de l’animé et le récit initiatique, intime, de Scott O’Dell est bien éloigné de celui de l’animé, plus foisonnant et aventureux. O’Dell s’intéresse aux conquêtes historiques au sud du continent nord-américain, là où la série déplace le contexte en Amérique centrale et en Amérique du sud, en négligeant la réalité historique pour construire une fiction de fantasy. Hormis la reprise des noms (Esteban, Zia et Mendoza), il n’y a véritablement aucun rapport entre le roman et son adaptation.

L’influence française et l’influence littéraire éliminées, le fondement du parcours d’Esteban devient plus net, et prend la forme assez conventionnelle d’un récit initiatique japonais : un jeune héros, souvent élu, quitte son village natal et part à la découverte du monde, en prenant part à une lutte de pouvoirs entre des factions ancestrales dans un univers qui déploie petit à petit sa sur-naturalité (schéma repris inlassablement dans nombre de mangas et de RPG japonais) ; type de récit dont il faut chercher la modernisation notamment dans les œuvres de Hayao Miyazaki.

Je ne suis pas le premier à évoquer les similtudes entre Les Mystérieuses Cités d’Or et les oeuvres d’Hayao Miyazaki ; d’autres ont déjà fait le lien entre Conan le fils du futur, Horus le prince du soleil, et Esteban le fils du soleil.
Cependant, davantage que ces animés plus jeunes, et qui ont clairement borné le genre, c’est avec un manga (papier) que Miyazaki me semble avoir fait franchir un cap adulte au récit d’apprentissage mythologique nippon : Nausicaä de la vallée du vent.
Par une coïncidence de calendrier, les Mystérieuses Cités d’Or a commencé à être diffusé en mai/juin 1982, soit à peine quelques mois après la publication en magazine des premiers chapitres de ce manga. S’il est excessif de voir un lien direct entre les deux, la similarité des premiers chapitres de l’animé et du manga de Miyazaki me semblent suffisantes pour suggérer une réelle influence de l’un vers l’autre.

Pitchons Les Mystérieuses Cités d’Or.

Esteban [Nausicaä] est un jeune enfant dont la mère est morte, et dont le père est une figure importante. Il vit dans un endroit isolé, loin des enjeux géo-politiques de son époque. Il va cependant prendre part au départ massif d’une flotte de vaisseaux vers un monde inconnu et dangereux : un « nouveau monde » recouvert par une forêt gigantesque [la forêt de décomposition]. Il va découvrir que cette forêt dissimule les secrets des peuples qui l’ont précédé et qui expliquent leur disparition. Alors que les grandes civilisations s’affrontent, dont l’une porte le nom de tolmèques [olmèques], le héros suit une piste plus personnelle à la recherche d’un secret enfoui au cœur de la forêt. Il sera accompagné dans sa quête par une princesse d’une civilisation en déclin [Asbel] et protégé par un bretteur capé exceptionnel qui semble connaître les rouages du monde mieux que quiconque [Yupa]. Sa première découverte sera le Solaris, un vaisseau « géant », arme de guerre meurtrière du passé [les titans]. Puis, peu à peu, la raison d’être du héros s’impose : c’est un « élu » ; d’anciennes prophéties annonçaient sa venue pour ouvrir les portes du secret de la forêt ; Esteban est bel et bien le fils du soleil [du vent].

Ce résumé, certes orienté, est significatif de l’analogie première entre les deux œuvres, même si elles évolueront chacune vers des voies différentes par la suite, tout en respectant le schéma initiatique caractéristique du récit nippon moderne.

On notera également qu’Esteban et ces amis délaissent rapidement leur vaisseau marin (qui porte pourtant le nom de Solaris et qui est dont directement connecté à l’héritage solaire d’Esteban), pour lui préférer un vaisseau aérien (le fameux Grand Condor) qui rappelle l’aile volante de Nausicaä (le moeve, soit la « mouette »).
Toujours au rayon vaisseau, je vous laisse comparer les jarres volantes dork et la machine volante des olmèques.

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Ce n’est donc pas très étonnant de retrouver par la suite en 1984 au poste de directeur artistique de l’adaptation animé de Nausicaä, Mitsuki Nakamura, directeur artistique des Mystérieuses Cités d’Or pour la partie décor, navires et vaisseaux.

Juste retour d’influence, on peut également penser que la cité dans le ciel, Laputa, même si elle est empruntée à l’univers de Jonathan Swift, s’apparente à une mystérieuse cité d’or.

Enfin, on peut également relever une référence (consciente ?) à Nausicaä dans la deuxième saison française des Mystérieuses Cités d’Or, quand les héros découvrent un laboratoire secret permettant de faire pousser des plantes, ce qui renvoie à la fois au laboratoire secret de Nausicaä et à la capacité de régénération de la forêt de décomposition.

Ce jeu des coïncidences et des influences serait vain s’il ne mettait pas en exergue ce qui fait à mon sens l’une des grandes forces de l’animation japonaise, à savoir une remarquable continuité artistique qui suit un parcours d’apprentissage depuis ses origines, là où l’animation anglo-saxonne avance de façon hasardeuse sans réelle continuité artistique, jouant souvent de coups technologiques ou commerciaux. Cette continuité est aussi une des raisons de la maturité artistique que j’évoquais auparavant, maturité qui ne peut se construire qu’au travers d’un cheminement raisonné et progressif, bien que nécessairement intuitif.

Pour poursuivre le jeu des coïncidences, on peut aussi noter que le studio japonais producteur des Mystérieuses Cités d’Or est le célèbre Studio Pierrot qui a débuté par l’adaptation du roman européen Les Merveilleuses aventures de Nils Holgerson, animé aérien s’il en est, aux enjeux certes plus enfantins, mais dont l’univers aérien des oies sauvages et du jars blanc peut être mis en parallèle avec l’univers aérien de Hayao Miyazaki ; animé dont l’un des nombreux réalisateurs est un certain Mamoru Oshii, contemporain de Miyazaki, et qui débuta donc dans le même écrin artistique – Mamoru Oshii qui faillit être l’un des réalisateurs des Mystérieuses Cités d’Or

AK

Les Mystérieuses Cités d’Or (Mitsuru Kaneko, Mitsuru Majima, Sôji Yoshikawa, 1982-1983)
Nausicaä de la vallée du vent (Hayao Miyazaki, 1982-1994)

Pour en savoir plus sur les modifications effectuées par les producteurs français, voir le blog dédié http://estebantaozia.blogspot.fr/
Pour une comparaison entre Conan et Esteban, voir le site lescitesdor.com
Pour une analyse fouillée de l’animé, voir l’excellent article sur Animeka

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