Bunraku (Guy Moshe, 2010)

bunrakuNous vivons une époque où tout converge ; ils seraient temps d’accepter cette convergence, de ranger les poussiéreux guides de lecture du siècle passé, et de commencer à tracer la nouvelle cartographie culturelle du XXIe siècle.

Étrange film que ce Bunraku, sorti directement en vidéo (ici et là-bas), globalement méprisé par la critique, apparemment ignoré par le public, et réalisé par un quasi-inconnu, Guy Moshe [qu’on appellera Dude dans le reste de l’article pour éviter tout jeu de mot foireux] – dont le seul film au compteur est Molly, un drame passé relativement inaperçu -, et qui compte tout de même à son générique l’immense Ron Perlman, l’immense Woody Harrelson, et l’immense (ou presque) Josh Hartnett.
Cette indifférence me semble injuste en regard des indéniables qualités visuelles du film.

S’inspirant du bunraku japonais, dont je me garderai bien de vous parler, le film du Dude s’apparente à une bande dessinée live. À aucun moment, le cinéaste fait vœu de réalité ; au contraire, tout dans le décor rappelle la facticité de son récit – à part les acteurs, tout semble fait de carton et de papier ; les décors jaillissant parfois à l’écran tels des pop-up de livres pour enfants.
Cela pourrait rapidement devenir cheap, mais le Dude emballe ça plutôt bien : réalisation fluide, combats chorégraphiés façon comédie musicale, filtres lumineux utilisés avec bon goût.
Chaque scène en vient à s’apprécier indépendamment les unes des autres – comme on peut apprécier indépendamment chaque acte, chaque attraction d’une pièce théâtrale ou d’un spectacle musical.
Il faut certes rentrer dans le jeu et accepter le parti pris esthétique complétement gratuit (mais assumé et largement maîtrisé) du Dude, d’autant qu’un vent de folie habite constamment le film – incarné par le personnage central, un tenancier de bar, mentor des héros, tortue géniale post-moderne, double sublimé du metteur en scène, interprété avec l’enthousiasme et la folie nécessaires par un Woody Harrelson parfait.

On en viendrait presque à oublier l’histoire, globalement sans intérêt, purement archétypale (une ville dystopique, deux héros qui font alliance, un bad guy, le sbire du bad guy, des filles gnan-gnan, etc), qui joue principalement la carte du polar noir, sous influences asiatiques, avec un soupçon de codes du western. J’aurais presque envie de comparer Bunraku à Cowboy Bebop, mais il manque la Girl Kicks Ass…
On pourrait certes reprocher au Dude de ne pas s’être foulé le poignet lors de l’écriture du script, mais, bon, son film n’essaye jamais de voler plus haut que son scénario, qui n’est qu’un prétexte pour enchainer des scènes d’actions (ce qui laisse la porte grande ouverte à toutes les critiques, même celles qui ferment les yeux devant les scénarios crasseux, prétentieux, pro-militaristes des Batman, Xmen, Thor, Hulk, Superman, Spiderman…).

Si on se délecte donc des nombreuses trouvailles de Bunraku, il faut lui reconnaître quelques faiblesses réelles (le personnage de Demi Moore mal branlé ; un climax manquant d’ampleur). Rien de bien grave.
Le bilan reste largement positif (Fun + Baston + Jolies images > Scénario) ; le Dude agrandit le champ d’exploration du cinéma contemporain, charge à d’autres de puiser dans les nombreuses bonnes idées du film pour transformer de façon peut-être plus convaincante l’essai.

On pourra rapprocher Bunraku du brillant (mais inégal) Sin City de Robert Rodriguez, qui tentait lui aussi de donner une autre consistance au medium cinématographique, et de fusionner (plutôt que de s’inspirer) avec celui de la bande dessinée. Dans les deux cas, le scénario est archétypal, et dans les deux cas, le film impose une identité visuelle inédite.
Trop souvent en effet, les médias et les genres culturels ne font que s’influencer réciproquement ; trop rarement ils fusionnent (Cowboy Bebop, Southland Tales, Sin City et j’en oublie sans doute…). Nous vivons une époque où tout converge ; ils seraient temps d’accepter cette convergence, de ranger les poussiéreux guides de lecture du siècle passé, et de commencer à tracer la nouvelle cartographie culturelle du XXIe siècle.

En cadeau bonus, voici la chouette scène d’introduction du film :
Bunraku

A.K.

One thought on “Bunraku (Guy Moshe, 2010)

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