Une série dense, complexe (lecteur de Bragelonne passe ton chemin), passionnante et complètement d’actualité ; et qui aborde des sujets qui devraient être au cœur de la science-fiction moderne, et qui paradoxalement ne le sont pas.
À écouter aussi sur Salle 101 – L’Émission du jeudi 14 février 2013
Rappel 1 : Manga – The Ghost in the Shell
Manga futuriste écrit de 1989 à 1991 par un mangaka culte Masamune Shirow s’intéresse à la Section 9, une escouade secrète de la sécurité intérieure japonaise, spécialisée dans la lutte contre le terrorisme et la cyber-criminalité. La majorité de ses membres font d’ailleurs partie des meilleurs cyborgs du pays (NB : cyborg = être humain ayant reçu des greffes).
On est dans du cyberpunk avec son lot d’actions, de réflexions politiques, de réflexions sur les cyber-technologies et leurs implications sociales et morales (le devenir de l’âme [le ghost] dans un corps entièrement cybernétisé, y compris le cerveau – quelle est la nouvelle relation entre l’âme et le cerveau cybernétique [1]), avec du sexe lesbien aussi :)
Le tout étant très très geek, rempli de notes techniques, de réflexions, dans toutes les marges – ce qui fait une partie du charme du manga.
[1] Le titre renvoyant à l’extraordinaire essai de 1967 d’Arthur Koestler : « The Ghost in the machine ».
Rappel 2 : Films – Ghost in the Shell & Innocence (1995 / 2004)
Le premier Ghost in the Shell est une date dans l’histoire du cinéma d’animation ; la rencontre entre 2 artistes extrêmes, et extrêmement talentueux.
Les films sont moins geek, moins bourrés d’action, moins politiques. Ils sont plus contemplatifs, rêveurs, philosophiques sur le devenir de la cyber-humanité, à l’image de l’oeuvre de Mamoru Oshii.
Série (2002-2003, 2004-2005, 2006) – Ghost in the Shell : Stand Alone Complex
Série constituée de 2 saisons et 1 OAV. Son réalisateur est Kenji Kamiyama (directeur de l’animation de Jin-Roh).
La série commence très mal (on ne peut pas faire pire). C’est du vieux cyberpunk ; le graphisme des personnages est douteux ; les intrigues ne sont pas passionnantes / sentent le réchauffé. Tous les épisodes isolés de la saison 1, même si ça s’améliore un peu en chemin, resteront peu convaincants. En revanche, les épisodes « complex » sont très bons.
Dans la saison 2, c’est encore mieux, la trame « complex » est excellente, les épisodes isolés sont moins « isolés », se rattachent plus à cette trame, ce n’est plus du vieux cyberpunk mais de la cyber-politique-fiction ; l’animation et le graphisme des personnages sont bien meilleurs, et plus homogènes.
Les 2 thématiques qui font l’intérêt de la série sont : la politique et la socio/psychologie.
Axe politique : la saison 1 s’intéresse à un complot pharmaceutique aux implications politiques ; la saison 2 s’intéresse à des réfugiés asiatiques (des réfugiés post WW4), au terrorisme qu’ils déclenchent, et à la manipulation du terrorisme par les institutions politiques (ce qui est aussi intéressant, c’est la position de la section 9, dépendante du pouvoir en place, mais qui doit s’en libérer pour rendre « justice »).
Axe sociologique : C’est le Stand Alone Complex. Les scénaristes reprennent le travail de Koestler qui s’intéressait à l’opposition qui anime chaque individu : la tendance à l’intégration pour fonctionner en tant que partie d’un tout ; la tendance au repli sur soi pour préserver son autonomie individuelle.
GITS SAC met en perspective cette dualité dans un univers « connecté », qui renforce, voire force la tendance à l’intégration. Qui change la donne des communications sociales. Qui multiplie les phénomènes de mèmes, de manifestations identiques à différents endroits sans initiateurs communs (exemples : le Rieur, les 11 individuels).
Ces 2 thématiques sont évidemment entrecroisées : des phénomènes de « copycat » étant au cœur des intrigues politiques.
Sur le style, c’est un croisement entre les 2 mondes de Shirow et Oshii : plus d’action, plus de psychologie que dans les films, tout en gardant un côté mélancolique.
NB : Masamune Shirow a participé en tant que conseiller, et Mamoru Oshii a participé à l’élaboration de l’histoire de la 2e saison.
C’est donc une série dans sa partie « Complex » très dense, complexe (lecteur de Bragelonne passe ton chemin), une série passionnante et complétement d’actualité ; et qui abordent des sujets qui devraient être au cœur de la science-fiction moderne, et qui paradoxalement ne le sont pas.
Remarque 1
Solid State Society, l’OAV est bien, mais pas forcément indispensable.
Hasard ou coïncidence, son intrigue est très proche de celle du film de Laugier, The Secret.
Remarque 2
Les 2 saisons (et l’OAV) sont vraiment différents. Visuellement, dans le graphisme, dans l’ambiance… C’est à souligner. Les responsables ne se sont pas contentés de faire une saison 2 en recopiant la saison 1. D’ailleurs, il n’y en a pas eu de 3e comme si, ce n’était pas justifié, qu’il fallait une raison valable pour en faire une autre. Approche saine.
Remarque 3
Attention, c’est différent du manga et du film. Le projet GITS fonctionne en mode Réalité alternative.
Remarque 4
Sur la passion qu’on peut éprouver en lisant le manga, en regardant la série : Les membres de la section 9 sont fascinants, ils font figure d’« héros ultimes » (la version japonaise des super-héros américains, sauf qu’ils se posent des questions que ne se posent pas vraiment les super-héros américains). Surtout le Major (même si Batou, Togusa, Saïto… aussi). De mon point de vue, c’est la Girl Kick Ass ultime : une cyber-guerrière invulnérable, humaine, sexuée. On ne peut pas faire mieux :)
A.K.