Kaboom (Gregg Araki, 2010)

kaboomSi Nowhere partait dans le futurisme défroqué, Kaboom est figé dans un présent brillant, irréel, fantasmatique.

[article initialement paru sur le Cafard Cosmique]

Pour être franc, je n’attendais plus grand-chose de Gregg Araki. Smiley Face (2007), sa shit-comedy est sympathique, mais vaine ; le surestimé Mysterious Skin (2004) sur les troubles du fist-fucking pré-pubère finalement assez banal – le film valant vraiment le coup d’œil pour la performance du kawaï Joseph Gordon-Levitt. Le cinéma apocalyptique d’Araki semblait avoir perdu de sa folie et de sa noirceur, ce qui n’est pas forcément étonnant : le scénario de Smiley Face n’est pas de lui et Mysterious Skin est une adaptation.
Heureusement dans Kaboom, Araki revient à ce qu’il sait faire de mieux : du Araki.

Étudiant en cinéma, Smith, un jeune homosexuel hésitant, à l’orée de son dix-neuvième anniversaire, et son amie Stella, une lesbienne affirmée, découvrent les plaisirs de la vie en campus. Alors que Smith noue deux relations épisodiques, l’une homo, l’autre hétéro, fantasme sur Thor, son compagnon de chambrée athlétique et nubile, et tombe amoureux d’un e-correspondant, il est témoin de l’enlèvement d’une jeune femme par des individus menaçants portant des masques d’animaux. Enquêtant sur cet enlèvement qu’il ne sait réel ou dû à une surconsommation de space cakes, et assisté par Stella (pourtant harcelée par son ex, Loreleï, une sorcière rancunière), Smith devient à son tour la proie des kidnappeurs. En dire plus serait gâcher le plaisir orgasmique de Kaboom.

Prenant l’allure d’un teen-movie décomplexé, puis d’un thriller ouvertement lynchien, Kaboom est une plongée dans la psyché d’un adolescent façon Araki. Le campus est un décor aseptisé (Smith et Stella ne semblent jamais réellement étudier), prétexte à la découverte du sexe dans toutes ses formes, fantasme grandeur nature où tout est permis et où les désirs, les peurs, les angoisses de Smith prennent corps.

Côté réalisation, si Araki ne fait pas dans la finesse, il s’amuse tout de même à donner un aspect plastifié, très fashion, à son film. Si Nowhere partait dans le futurisme défroqué, Kaboom est figé dans un présent brillant, irréel, fantasmatique. Il abuse également de gros plans face caméra, comme pour faire entrer les spectateurs dans le crâne de Smith et Stella. Ces deux choix de mise en scène et le côté dépouillé et kitch des décors confèrent au film un ton unique et décalé.

Côté casting, l’ensemble est assez inégal ; heureusement, Araki s’appuie sur les deux acteurs principaux, dont on aurait pourtant pu craindre le pire. Thomas Dekker, à côté de la plaque en John Connor dans les sinistres Chroniques de Sarah Connor, mais à sa place en ado perdu, « jouet » d’un cinéaste fou. La chanteuse Haley Bennett, de prime abord un pur produit du système américain, crève l’écran et fusionne avec le cinéma arakien, s’imposant comme le leader charismatique du film – c’est via elle que Araki réussit à parler aussi librement de sexualité sans sombrer dans la vulgarité.

Treize ans après Doom Generation et Nowhere [le seul film au monde avec un vrai cafard cosmique], Araki refait enfin du Araki, certes moins sombre, moins en prise avec le réel, mais foutrement jouissif. Kaboom ne prétend pas au rang de culte de ses prédécesseurs, mais il a au moins le mérite d’illuminer un automne cinématographique moribond et de rassurer sur la forme du cinéaste. Du coup, on attend déjà son prochain métrage avec impatience.

Dernier point : Je me répète, mais le cinéma d’Araki est dans ses thématiques (le rapport à l’adolescence, une noirceur prégnante, la sexualité des jeunes, l’apocalypse) voisin de celui de Richard Kelly. Cela devient intéressant de comparer les approches formelles Southland Tales et Kaboom, la première dickienne et « en feu d’artifice », la seconde lynchienne et « en accélération ligne droite ».

A.K.

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