Treize ans après Ghost in the Shell et la fabuleuse scène de réveil de Kusanagi, et comme si le cinéma d’animation était resté en suspens depuis tout ce temps, Oshii livre un film quasi-muet, suggestif et non démonstratif, loin de la mode du « tout spectaculaire », une réflexion existentielle, mélancolique et hypnotique autour de l’animé/inanimé et de l’humain/artificiel.
[article initialement paru sur le Cafard Cosmique]
À défaut de voir des bons films de science-fiction en salles, il faut maintenant se tourner vers les sorties direct-to-dvd pour trouver son bonheur. C’est le cas du dernier chef d’œuvre de Mamoru Oshii : Sky Crawlers.
À l’instar de Valhalla Rising, le nouveau métrage du maître nippon est un film implicite, tout en silences et en non-dits. On y suit l’arrivée d’une nouvelle recrue dans une base aérienne presque déserte. Celui-ci s’imprègne de l’atmosphère énigmatique baignant les lieux, participe aux attaques de son escadron dans un imposant conflit bipolaire aux enjeux insaisissables, tout en enquêtant sur la mystérieuse disparition de son prédécesseur. On comprend peu à peu que, comme plusieurs de ses coéquipiers, il est un kildren, un adolescent qui ne peut plus grandir, et dont l’origine est liée aux enjeux-mêmes du conflit auquel il prend part.
On le voit, Sky Crawlers est, en première intention, un film-puzzle dont les pièces se dévoilent tout au long du visionnage. Au-delà de cette mini-tension narrative, son véritable intérêt réside cependant dans les personnages : leurs interactions, leurs errances, leur inactivité. Malgré les innovations de la décennie passée, le cinéma d’animation post-moderne peine encore à convaincre dans la simple reproduction de l’humain. En marge de cet échec, Oshii reste le seul (à ma connaissance) à parvenir à donner vie et consistance à des personnages de dessins animés. Dans les regards, les postures, les automatismes de ces héros, Sky Crawlers séduit, convainc et immerge son audience dans un microcosme fascinant. Là réside le paradoxe de l’œuvre de Mamoru Oshii : atteindre l’humain en mettant en scène le non-humain.
Treize ans après Ghost in the Shell et la fabuleuse scène de réveil de Kusanagi, et comme si le cinéma d’animation était resté en suspens depuis tout ce temps, Oshii livre un film quasi-muet, suggestif et non démonstratif, loin de la mode du « tout spectaculaire », une réflexion existentielle, mélancolique et hypnotique autour de l’animé/inanimé et de l’humain/artificiel, avec en toile de fond un contexte guerrier réduit à sa plus simple essence. Sky Crawlers est la synthèse parfaite des meilleures œuvres de Oshii – Ghost in the Shell, Jin-Roh, Avalon et Innocence.
Ceux qui attendaient un film d’action seront plongés dans un ennui sans fin, mais les autres auront sous les yeux l’un des métrages les plus envoûtants de l’année, et sans conteste l’un des meilleurs films de science-fiction de la décennie.
A.K.